Automne
1998

Dispositif d'aide aux patients dans le coma

Sommaire
des projets

 


Thierry MONTAGU




I. A PROPOS DU COMA : APPROCHES NEUROLOGIQUE ET MÉDICALE
       1. Définition
       2. La situation du patient dans les hôpitaux
       3. Quelques vécus

II. DISPOSITIF D'ASSISTANCE AUX PATIENTS DANS LE COMA
       1. Justification du dispositif
       2. Le ressenti du malade
       3. Les composantes du dispositif
       4. Un dispositif intégré

III. CONSÉQUENCES COGNITIVES
       1. Conséquences pour le personnel soignant
       2. Les conséquences pour le patient

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE




I. A PROPOS DU COMA : APPROCHES NEUROLOGIQUE ET MÉDICALE



1. Définition



a. " Un état ressemblant au sommeil "

§       
D’un point de vue phénoménologique, le coma peut être défini comme un état ressemblant au sommeil, comportant une abolition de la conscience* et de l’éveil comportemental.

 

§        D’un point de vue physiopathologique, le coma est avant tout un trouble de la vigilance, c’est à dire de l’éveil cortical et sous cortical, impliquant une lésion ou un dysfonctionnement de la formation réticulaire activatrice ascendante** du tronc cérébral.

 

*conscience : en physiopathologie, elle regroupe l’ensemble des activités corticales aboutissant à la connaissance du moi et de l’environnement. Elle est satellite du comportement de veille qui dépend d’une interaction entre le tronc cérébral et les hémisphères cérébraux.

 

**Situation de la formation réticulaire activatrice ascendante (FRAA)


La structure clé de la conscience est la FRAA, située dans la partie centrale du tegmentum ponto-mésencéphalique (voir schéma). Elle reçoit :

·        Des afférences sensitivo-sensorielles stimulantes de l’éveil en provenance de la voie spino-thalamique, et notamment de la face.

·        Ces afférences se projettent sur le cortex

-                                             soit de manière directe

-                                             soit, et c’est la voie majeure, par l’intermédiaire des noyaux réticulaires thalamiques, qui facilitent l’éveil.

 

 

 

§        Examen neurologique

 

Il est limité du fait des troubles de la vigilance mais il est l’instrument le plus performant pour apprécier et suivre la souffrance cérébrale.

 

- Vigilance : réduite, labile ou abolie, la réaction d’éveil se mesure à l’ouverture des yeux, spontanée ou provoquée par des stimulations de force croissante (appel, bruit, secousse, douleur)

 

- Motricité : l’activité de chaque hémicorps est analysée de façon comparative en notant toute asymétrie. On note la présence/ absence de mouvements spontanés. En leur absence, l’examen repose sur la réactivité motrice à des stimulations nociceptives (pincement) appliquées de manière symétrique en différents points. On distingue alors :

+ les réponses appropriées, qui varient selon le siège du stimulus (de type localisation, évitement, abduction)

+ les réponses inappropriées, stéréotypées, sans finalité apparente, se traduisant par une modification posturale grossièrement reproductible.

 

La réactivité est aussi explorée au niveau de la face (grimace) par pincement du cou, par exemple.

 

- examen des yeux : c’est un temps capital qui explore la plupart des réflexes du tronc cérébral :

+ les paupières,

+ les pupilles, d’une extrême importance dans la surveillance du coma,

+ les mouvements oculaires,

+ les mouvements réflexes.

 

 

 

- étude de la respiration : la souffrance lésionnelle ou métabolique des structures centrales qui contrôlent la respiration est souvent à l’origine de perturbations respiratoires chez les malades comateux.

 

§        La définition du coma repose donc sur la suppression du comportement de veille (absence d’ouverture des yeux, quelle que soit la stimulation), et sur l’absence de toute manifestation d’activité consciente.

 

§        Ne pas confondre coma avec :

- l’état de stupeur : état de trouble de la vigilance dans lequel les yeux peuvent s’ouvrir transitoirement, avec une activité motrice plus ou moins organisée.

- l’état végétatif : modalité évolutive du coma avec :

+ restauration du comportement d’éveil (rythme nycthéméral),

+ activité motrice rudimentaire (variations posturales),

+ mais aucune manifestation d’échange psychologique avec l’entourage.

 

§        Systèmes de classification :

 

Leur simplicité rend compte d'une large diffusion, mais ils ne peuvent en aucune manière se substituer à l'examen neurologique, dont la concision reste indispensable, dans son détail, à la caractérisation de la souffrance cérébrale et à la surveillance du malade.

 

Les stades du coma (I: obnubilation, Il: coma, III: coma profond, IV : aréactivité totale) ne donnent qu'une estimation grossière, sans intérêt pratique.

 

L'échelle de Glasgow, désignée à l'origine pour mesurer la gravité des traumatismes crânio-cérébraux, est largement utilisée en pathologie d'urgence. Dans le coma proprement dit, elle ne prend en compte que la réactivité motrice, avec une reproductibilité médiocre. D'autres modèles lui adjoignent les principaux réflexes du tronc cérébral (échelle de Glasgow-Liège).

 

Le principal intérêt de ces systèmes est de définir des groupes pathologiques homogènes au plan de la gravité, en termes statistiques. Leur application à la transmission d'informations cliniques et à la surveillance du malade est par contre très discutable. Leur exploitation à des fins de prédiction individuelle et de décision thérapeutique n'est pas acceptable. Des échelles ou des scores de gravité sont néanmoins indispensables dans le cadre d'essais thérapeutiques, mais il convient d'en tester la reproductibilité et de les adapter de manière plus spécifique aux objectifs ponctuels de ces études.



b. Causes principales de coma


Les causes de coma sont extrêmement diverses, qu’elles soient liées à une pathologie cérébrale primitive, secondaires à d’autres atteintes viscérales ou à des désordres métaboliques diffus (voir tableau). Une souffrance cérébrale peut être révélatrice d’une pathologie à distance encore méconnue, métastase cérébrale ou embolie cérébrale cardiogénique par exemple. C’est dire l’importance d’un bilan clinique complet pour parvenir à un diagnostique étiologique précis.

 

Causes principales de coma (liste non exhaustive)

Tumeurs cérébrales

    Engagement cérébral

    Hémorragie intratumorale

Endocrinopathies

    Hyperparathyroïdie

    Insuffisance surrénale aiguë

    Panhypopituitarisme

Accidents vasculaires cérébraux

    Hémorragie méningée sous-arachnoïdienne

    Hémorragie cérébrale

    Infarctus cérébraux

    Thrombophlébite cérébrale

    Embolies gazeuses, graisseuse

    Bas débit cérébral

Intoxications aiguës

    Sédatifs et psychotropes

    Oxyde de carbone

    Alcool

    Morphiniques (overdoses)

    Anticholinergiques

 

Anoxie

    ischémique : arrêt cardio-vasculaire

    pure : intoxication oxycarbonnée

    méthémoglobinémies

    encéphalopathie respiratoire (hypoxie, hypercapnie)

Divers

    Epilepsie : coma post critique

    Hypothermies majeures accidentelles

    Coup de chaleur

    Encéphalopathies alcooliques

    Affections neurologiques diffuses

Infections

    Méningites aiguës bactériennes

    Encéphalites (herpès, HIV)

    Abcès cérébraux

Encéphalopathies métaboliques

    Hypoglycémie

    Hypoatrémie sévère, états hyperosmolaires

Hypercalcémie, hypophosphorémie extrême

    Acidoses lactiques

    Hydrocéphalie aiguë

Traumatisme cranio-vertébraux

 




c. Le cas particulier de la phase d'éveil (travaux de M. Grosclaude)


La vie psychique se reconstituerait lors de l'éveil dans une activité de pensée, de représentation, à mi-chemin entre rêve et réalité.

 

M.Grosclaude, psychanalyste, distingue trois phases de reconstruction dynamique lors de l'éveil des comas traumatiques :

 

1.     (Glasgow à 8) Tout se passe comme si le malade "entendait ce qu'on lui dit, l'intègre peut-être en partie, mais ne comprend pas ce qui se passe. Il est dans l'impossibilité d'être à l'écoute de l'autre, cet autre étant vécu comme agressif".

2.     L'activité du patient "tient compte de l'autre … mais la prise de contact avec la réalité est rendue difficile par l'absence de point d'ancrage".

3.     Le patient a pu "reconquérir une possibilité de communication verbale et d'échanges avec autrui".

 

Dans la période d’éveil, des indices francs de communication et de relation deviennent progressivement manifestes. Bien que le malade soit déclaré "conscient" en référence au score de Glasgow, sa conscience reste "décantée", réduite à son squelette, avec processus progressif de retour de celle-ci. Les malades à ce stade sont encore le plus souvent dans une passivité et une immobilité extrêmes. Ils prennent rarement l’initiative de la communication et du contact avec l’entourage (soignants et proches). S’il y a mouvement et agitation, ceux-ci sont auto-centrés. La parole est souvent rare, toujours en réponse à l’initiative de l’interlocuteur. Elle est banale, avec une sociabilité de façade. Parfois, la parole est inaudible, chuchotée, incompréhensible, certains sujets remuant les lèvres sans se soucier de la présence ou non d’un interlocuteur. Le malade peut difficilement communiquer les sensations inhabituelles qu’il ressent, comprendre pour lui-même et faire comprendre à l’autre ses besoins élémentaires.

 

D’où, dans cette période également, un "retrait de soi". (troubles de la "conscience de soi", de la "conscience du corps", pouvant évoquer des états de dépersonnalisation, et des vécus oniroïdes et hallucinatoires).

 



2. La situation du patient dans les hôpitaux



a. Les soins apportés

·       
Les soins apportés aux patients (sous toutes leurs formes, c'est à dire, aussi bien le "nursing" que la visite du médecin) sont estimés à 13 heures par jour.

 

·        Le comateux est en position semi-assise, afin d'agrandir au maximum son champ de vision, au moment où il ouvrira les yeux.

 

·        L'appareillage est constitué :

- de perfusions (injections de médicaments)

- d'une sonde gastrique introduite au niveau du nez, qui "débite" les nutriments soit 24h/24, soit pendant 6 heures avec un arrêt de 6 heures.

- l'assistance respiratoire s'effectue maintenant au niveau du nez et descend jusqu'aux poumons. Ceci permet les soins de bouche.

- La sonde urinaire placée en permanence. En revanche, il n’y a pas de dispositif permettant l'évacuation des selles. Donc il faut changer les lèses régulièrement et laver les patients (nursing).

- La visite du kiné. En effet, la kinésithérapie permet d'éviter :

* l'hypertonie (rigidité du corps)

* les escarres (apparition de nécroses de la peau qui peuvent tourner à l’état d’ulcères lorsque la personne est trop longtemps alitée)

* les raideurs et rétractions (limitation de l'amplitude articulaire)

* troubles orthopédiques

 

Par ailleurs, il existe des matelas à eau ou électriques (à point de compression) qui limitent l'apparition des escarres.

 

Remarques :

·          Dans l'hôpital, on compte 1 kiné pour 21 patients, ce qui est insuffisant.

·          Tous les hôpitaux ne sont pas équipés de matelas spéciaux



b. Visites des familles


Elles sont très limitées. Dans l'hôpital que nous avons visité, elles ne sont autorisées que de 14h à 20h et d'une durée de 15 minutes par famille. Par ailleurs, un seul membre de la famille est autorisé à entrer dans la chambre. Les autres peuvent le voir par l'intermédiaire d'une caméra.

Chaque personne entrant dans la pièce doit être vêtue d'une blouse, de chaussons et doit se laver les mains, car les comateux sont très sensibles aux germes.

Les temps de visite sont nécessairement courts car les patients dans le coma nécessitent de beaucoup de soins, et en cas de danger (arrêt cardiaque ou arrêt ventilatoire), il faut faire évacuer la famille et prodiguer le plus rapidement les soins nécessaires.

Remarque : ces mesures théoriques sont modulées au cas par cas.




c. L'environnement sonore


Le patient vit dans un univers très bruyant. Les responsables de ce bruit sont essentiellement :

·     les va-et-vient du personnel soignant dans les couloirs de l’hôpital 

·     la sonnerie du téléphone 

·     les signaux d’alarme des appareils cardiaque, respiratoire...

·     l’aérosol, présent dans la chambre des sujets trachéotomisés, permettant d’humidifier l’air

 

Remarque : ces bruits sont en majeure partie extérieurs à la chambre du patient, et il est impossible d’isoler les chambres, car les infirmières ne pourraient plus entendre les signaux d’alarme en cas de détresse, ni les patients parler s’ils venaient à se réveiller !

 



3. Quelques vécus


         Pour comprendre ce que ressent le patient, nous avons sélectionné plusieurs témoignages (qui semblent provenir de la phase d'éveil):

 

         "Je suis sur mon lit d'hôpital, branché, avec des tuyaux partout, comme un poulpe. Je suis parfaitement conscient de ma misère physique . Je sais que toutes les machines autour de moi sont la pour me sauver la vie".

         Extrait de l'Express de mai 1998 - Coma: Voyage aux frontières de l'inconscient

 

         Le coma, "c'est aussi une réminiscence de fragments perceptifs corporels: des rires d'infirmières, des bruits de talons, des visions mêlées à des hallucinations"

         Propos de Madame Grosclaude, Docteur d'Etat, psychanalyste dans le Journal des psychologues d'octobre 1997

 

         "Je passais mon temps à essayer de lire vos noms sur vos blouses et je me disais: quand je pourrai parler je leur dirai merci en les appelant par leurs prénoms, ce sera leur récompense pour m'avoir si bien soigné"

         Extrait d'un projet de recherche de 1996 réalisé à l'hôpital hôtel-Dieu à Valenciennes

 

Mais d'autres souvenirs, extraits la source précédemment citée, sont beaucoup plus négatifs:

 

         "Une chose m'a obsédé tout le temps: le tuyau de la machine. J'étais convaincu que c'était une bête qui rampait sur moi…"

 

         "Chaque fois qu'une infirmière entrait dans ma chambre, je me demandais si c'était pour me soigner ou pour me tuer…"

 

Ces récits témoignent d'une perception certaine de l'environnement, parfois violente et très souvent mal vécue car le patient se sent en dehors du monde des vivants.

 



II. DISPOSITIF D'ASSISTANCE AUX PATIENTS DANS LE COMA


 

1. Justification du dispositif


         "Le patient ne pouvant aller vers le monde, il s'agit d'amener le monde à lui", tel pourrait être le résumé de notre dispositif.

 

         Ce dispositif associe à la fois des outils technologiques et la composante humaine (c'est-à-dire le personnel soignant et l'entourage proche du patient) afin de stimuler tous les sens du patient. En effet, Arné, Borrat, Mazeaux et coll., par exemple, plaident pour une stimulation très précoce mettant en jeu le corps du traumatisé, la verbalisation des soins et des stimulations, un environnement sonore et visuel adapté avec, bien sûr, une présence active de la famille.

 

         De plus, des études ont montré que les programmes de stimulations multimodales modifient l'électroencéphalogramme des patients de manière significative, contrairement à des stimulations unimodales.

 

Notre dispositif a donc pour but de stimuler le maximum de sens simultanément comme dans la réalité et de recréer une atmosphère agréable autour du patient.

 

Tout d’abord, il est essentiel de comprendre dans quelle ambiance se trouve le comateux.

 



2. Le ressenti du malade


D’après une étude effectuée l’année dernière à l’Hôtel-Dieu sur  30 patients sortis du coma et vus entre le 2ème et le 5ème jour suivant l’extubation, il en ressort que :

*     60% se sont sentis gênés de ne pouvoir parler à cause de la sonde respiratoire.

*     48% étaient gênés par les lumières allumées la nuit.

*     48% ont eu peur de perdre la parole définitivement.

*     48% ont vécu l’aide respiratoire difficilement.

*     48 % ont eu l’impression d’être dépendant des machines et du personnel.

*     48% ont eu peur de mourir.

*     le contenu de leurs rêves est essentiellement :

Þ  hallucinations

Þ  cauchemars

Þ  tuyaux (des sondes respiratoire et nutritive)

*     86.58% ont ressenti la peur et l’angoisse en se réveillant.

*     53.28% ne savaient pas où ils étaient.

 

Il ressort clairement de cette étude un vécu persécutif et violent lié essentiellement à l’appareillage hospitalier, ainsi qu’une absence de repères temporo-spatiaux.

Il faut ajouter le bruit régulier et monotone de l’assistance respiratoire et de l’électrocardiogramme, rappelant sans cesse au malade qu’il est bien dans un hôpital.

Par ailleurs, cette pénibilité ne concerne pas uniquement le patient, mais aussi tout le personnel soignant comme le montre le tableau suivant:

 

 

Ce tableau représente le taux de pénibilité au niveau de l’audition, la vision et l’odeur perçu par le personnel soignant dans différents services.

Le service qui nous intéresse ici est le B, à savoir, la réanimation neurochirurgie. On peut constater que le taux moyen de pénibilité n’est pas négligeable, puisqu’il est de 68%, ce qui le place en 2ème position !

 

En conclusion :

L’environnement étant ressenti comme hostile et persécutif, notre dispositif doit être axé sur la «douceur » à tous les niveaux de stimulations, afin de créer une ambiance agréable aussi bien pour le patient que pour le personnel soignant.

 

 



3. Les composantes du dispositif



a. Stimulation corporelle


Il s’agit de stimuler le corps, et ce, le plus tôt possible afin d’éviter l’amyotrophie et la raideur au niveau des articulations. De ce fait, cette stimulation vise 2 cibles :

*     Les muscles, qui seront stimulés par des impulsions électriques via des électrodes collés sur la peau

*     Les articulations, entretenues par une manipulation attentionnée des membres

 

Pour que cette stimulation corporelle soit efficace, optimale, elle doit être effectuée pendant 2 heures, tous les jours !


b. Stimulations auditive, gustative et olfactive


L’homonculus représente schématiquement la localisation de l’analyse des sensations au niveau de la circonvolution pariétale ascendante. La représentation de l’organe est proportionnelle à la qualité de l’analyse nerveuse de la sensation.

 

Ainsi, la bouche (organe concernant la gustation) et le nez (concernant l’olfaction) sont sur-représentés !

D’ailleurs, dès 1982, Ducarne et Rolland insistent sur la nécessité d’une " activation neuropsychologique de l’éveil des patients victimes d’un coma prolongé, […] pour rétablir l’appétence sensorielle, ainsi qu’un certain mode de perception sensitive en stimulant audition-tact-goût ".

 

 

En ce qui concerne la stimulation olfactive :

Il y aurait diffusion par évaporation de :

- parfums de l’extérieur (ex :forêt, fleurs, chèvrefeuille…)

- parfums familiers apportés par la famille

- saveurs alimentaires associées à l’heure des repas (ex :odeur de café, de pain, de fruits…) en rapport avec les goûts du patient.

Ainsi, on instaurerait un semblant de prise de repas pour palier au « gavage » permanent effectuer par la sonde gastrique .

 

Pour des raisons de coût, nous avons pensé tout simplement utiliser les parfums destinés aux diffuseurs domestiques, avec lesquels nous imbiberions un petit morceau de coton, par exemple, posé près du patient pour ne pas déranger le patient du box voisin.

 

En association avec cette stimulation, la stimulation gustative :

La bouche n’étant pas encombrée de tuyaux, il y aura possibilité de stimuler les récepteurs gustatifs situés sur la langue. Pour cela, les infirmières passeraient sur la langue du patient un coton-tige imbibé d’arômes alimentaires liquides .

 

De ce fait, on associe l’odeur au goût !

 

Importance de la stimulation auditive :

Dans l’article Talking to comatose patients, les auteurs insistent sur la nécessité de parler aux patients dans le coma. « les patients, disent-ils, peuvent entendre, ils ont une audition normale comme le prouve l’utilisation de potentiels évoqués auditifs. Par ailleurs, ne pas leur parler induit aux yeux de l’entourage qu’ils sont morts, ou presque ».

 

Le contenu du discours a, en outre, son importance. Shiel et coll. ont étudié l’effet d’une conversation sur la pression intracrânienne de patients dans le coma. Deux types de conversations ont été utilisées, l’une avec un contenu émotionnel, l’autre sans. L’étude porte sur 8 sujets. Les résultats montrent une augmentation de la pression intracrânienne, surtout en présence de la famille !

Il apparaît clairement que la famille joue un rôle important et qu’il faut surveiller le contenu du discours…

 

Par ailleurs, les "je vais vous" ("piquer" ou encore "déplacer",… ) souvent employés par le personnel soignant, ont tendance à instrumentaliser le patient. Une certaine douceur dans les paroles , est donc nécessaire pour lutter contre le sentiment de persécution ressenti par le sujet malade.


Enfin, il est possible de stimuler l’audition de plusieurs façons :

 

- par la télévision (en passant les programmes favoris du malade, mais en évitant toute scène de violence)

- par des séances de lecture " gaie " comme Marcel Pagnol, Daudet, Pennack…

-         par la musicothérapie. Il s’agirait de diffuser les morceaux de musique préférés des patients à l’aide d’un casque, afin d’éviter la cacophonie et par la même occasion, masquer le bruit de l’appareillage.

 

Comment associer ces stimulations de façon optimale ?

 

 



4. Un dispositif intégré



a. Un rythme circadien


        Les soins étant prodigués de jour comme de nuit, le patient n'a plus de repères temporels. Il se sent désorienté.

        Il est donc nécessaire d'instaurer un rythme circadien en alternant une phase significative d'obscurité (une lumière minimale doit être conservée pour le confort et la sécurité du personnel soignant qui prodigue les soins de nuit) et de calme et une phase de clarté et d'activité.



b. Coordonner des hommes et des techniques


        Pour coordonner toutes ses composantes et simplifier le travail et la créativité du personnel soignant, nous avons pensé à créer un logiciel qui ferait des tirages aléatoires de situations. Chaque jour serait différent.

 

        L'avantage serait donc d'éviter la monotonie des gestes du personnel soignant mais aussi la monotonie des journées du malade.

 

        Et pour être plus proche du patient, un questionnaire sur les goûts du patient serait remis à sa famille lors de l'entretien médical et serait ensuite analysé par le logiciel.

 

        Pour être plus explicite, nous avons imaginé un journée particulière pour un adolescent.



c. Un exemple d'une journée


7H00               Lumière

                        Petit déjeuner : Odeur de chocolat chaud

                                                 Goût de confiture de fraise

 

7H30               Soin de bouche

 

8H00               Nursing

 

8H30               Musicothérapie

 

10H00             Nursing

 

10H30             Stimulations corporelles par le kinésithérapeute

 

11H30             Télévision (émission musicale)

 

12H30             Déjeuner : Goût pizza (tomates, fromage, origan, …)

                                         Odeur de fruits (abricots)

 

13H30             Nursing

 

14H00             Sieste

 

15H00             Ballade en forêt : Stimulations musculaires par électrodes

     Cassette audio de bruits d’oiseaux, vent dans les feuilles,  chevaux

     Odeurs d’essences de pins, de fleurs

 

16H00             Goûter : Goût et odeur de brioche au Nutella

 

16H30             Nursing

 

17H00             Séance de lecture

 

18H00             Nursing

 

18H30             Visite de la famille

 

19H30             Dîner : Goût d’omelette aux fines herbes

                                   Odeur de fruits (banane)

                        Télévision : Programme conseillé par la famille

 

20H00             Nursing

 

20H30             Extinction de la lumière

 



III. CONSÉQUENCES COGNITIVES



Préliminaire: le coma et la réanimation

 

La situation singulière du coma, en tant que fait médical, n’est pas sans modifier les interrelations médecin-maladie-institution médicale-famille. Toute institution en tant que telle produit en permanence une contradiction majeure : c’est à la fois un lieu inévitable dans la société et un lieu de violence – violence qui bouleverse les repères du sujets (qu’ils soient symboliques, sexués, identificatoires) et qui sous-tend une perte du sentiment d’appartenance à une communauté –.

Le coma en tant que situation extrême de souffrance produit :

·        une mise à mal de l’illusion :

L’illusion permet au sujet de se confronter à son désir et à la dénégation de la réalité sans basculer dans le délire ; elle permet de créer, dans une institution des mythes et une idéologie acceptables par tous. Une fois mise à mal, des réactions de défense apparaissent et se traduisent par

-       un risque de perte de l’illusion par rapport à l’idéal soignant

-       un risque de perte de l’illusion par rapport à l’idée que l’on se fait de soi-même

·        une exagération de l’interprétation, chaque signe, chaque parole pouvant toucher le soignant directement dans son identité subjective

 

Le coma est une confrontation à l’inanimé, c’est "l’expression ultime de la présence de la mort dans la vie". Familles et soignants sont confrontés à un corps dont ils ne savent s’il est déjà soumis au pourrissement, s’il est cadavre ou non, si c’est une marionnette ou pas… Ils ressentent alors un sentiment d’étrangeté à cause du risque de confusion entre soi et sujet inanimé.



1. Conséquences pour le personnel soignant


Le coma constitue une rupture radicale dans la vie consciente du sujet et dans ses relations avec son entourage. De plus, l’organisme n’étant plus capable d’assurer ses besoins et ses défenses, le patient se trouve placé dans une situation de dépendance absolue.

 

Jusqu’à ces dernières années, le personnel de réanimation réduisait les sujets malades au "statut d’organisme déficient et sans désir" – on pouvait alors trouver les patients dans le comas, nus, rassemblés dans une salle commune comme des corps sans âmes, conditions indécentes dépourvues de toute dignité humaine. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

 

Et l’équivalence " malade inconscient égal sujet absent est aujourd’hui remise en cause". En effet, il faut considérer le patient dans le coma comme un être humain, avec tout le respect qui lui est dû, et véritablement "faire comme si" il était conscient.

 

Du fait que notre dispositif intègre une part importante d’interventions humaines, cet aspect le rend conforme à la morale soignante qui se développe, morale que chacun s’impose face au malade qu’il assure ainsi de traiter en individu unique, particulier, dont le cas n’est aucunement superposable à son voisin de chambre…

 

Quant au logiciel, il permettrait d’éviter une surcharge de travail du personnel soignant : c’est lui qui se chargerait de décrire l’environnement à recréer auprès du malade, description que les infirmières mettraient en œuvre, sans se soucier de la recherche des différentes situations… La charge de travail du personnel hospitalier étant suffisamment lourde, notre dispositif ne doit pas constituer un fardeau supplémentaire, mais bel et bien s’intégrer dans un ensemble de pratiques déjà existantes.

 

Notre dispositif intègre ainsi le changement de statut des patients dans le coma. Les penser potentiellement vivants (c’est-à-dire réceptifs au monde qui les entoure de manière active et consciente) plutôt que potentiellement morts, amènerait peut-être un changement dans l’attitude des infirmières face au corps inerte, par le fait même de recréer une atmosphère agréable et chaleureuse autour du patient …

 



2. Les conséquences pour le patient


L’échange entre le patient et l’environnement étant ressenti comme persécutif, notre dispositif est axé sur la douceur.

 

Tout d’abord l’utilisation des stimulations électriques à faible intensité et les nombreux contacts des infirmières auraient pour conséquences, d’une part d’estomper les méfaits de l’alitement permanent et ,d’autre part, de permettre un maintien des échanges corporels sous forme de gestes doux tels que les caresses pour renforcer sa corporalité.

 

De plus, l’instauration d’un nouveau langage évitant l’instrumentalisation du patient et comportant une teinte affective, c’est-à-dire avec des mots porteurs d’un échange et à dimension relationnelle, réduirait la distance entre le patient et le "monde des vivants".

 

L’ensemble de ces composantes ont pour but de modifier l’image corporelle du patient, de l’aider à une repersonnalisation, à reconstruire sa pensée en lambeaux. Par là même, il permettrait d’estomper le sentiment de solitude, et de persécution en recréant autour de lui un environnement agréable.

 

Et pourquoi ne pas imaginer que l’ensemble des ces stimulations, parce qu’elles entretiennent l’activité électrique dans les voies nerveuses, ne réduiraient pas les éventuelles séquelles post traumatiques ?

 



CONCLUSION


Nous sommes parvenus à la conclusion qu’il était nécessaire de stimuler le corps du patient afin de limiter au maximum les séquelles post-coma, et pourquoi pas, favoriser son éveil !

Notre dispositif se propose donc de stimuler le corps, l’olfaction, l’audition et la gustation tout en recréant une atmosphère familière et agréable autour du patient, et permettant ainsi de reconstituer des points d’ancrage dans le "monde des vivants".

 

Cependant, notre dispositif alliant à la fois la technologie et la composante humaine, il possède certaines limites :

§        Un coût financier élevé, dû à l’utilisation de postes de TV , de radios, d’ordinateurs, d’essences, d’arômes gustatifs, de kinésithérapeutes, de personnels soignants…

§        Des limites humaines :la famille et le personnel soignant sont fortement intégrés dans l’univers du patient, ce qui pose beaucoup de problèmes.

Par exemple, des frustrations face à l’inanimé, le sentiment que les efforts sont vains (et donc, un découragement), la peur de la mort…

Pour limiter ce problème, il faudrait développer un suivi psychologique des familles, ainsi que des groupes de parole pour le personnel soignant.

 

Enfin, nos recherches sur le coma nous ont permis de constater à quel point cet état posait problème pour définir une limite entre vie et mort, parce que la médecine actuelle a encore beaucoup de difficultés à rechercher, diagnostiquer et interpréter les signes cliniques du coma.

 

 



BIBLIOGRAPHIE


1) Neurologie, Abrégés, J. Cambier, M. Masson, H. Dehen, Editions Masson, pp 131 à 141

 

2) Neurologie, G. Serratrice, A. Autret, coll. Universités Francophones, Ellipses, pp 281 à 292

 

3) Ergonomie Hospitalière – Théorie et Pratique, M. Estryn-Béhas, Editions ESTEM, pp 260, pp 273 à 290

 

4) thèse de médecine : "Du coma prolongé vers l’éveil : un parcours accompagné ?" – 1993.- Paris 6 St Antoine – 93PA062011.

 

5) thèse de médecine : "Les réveils de coma neurochirurgicaux :approche clinique psychanalytique des phénomènes de conscience chez des patients présentant des atteintes des fonctions cognitives" – 1995 – thèse microfichée – 95PA070016 .

 

6) CD Rom Encyclopédia Universalis, entrée "coma".

 

7) entretien avec le médecin réanimateur Y. Domart du service de réanimation neurochirurgicale de l’hôpital de Compiègne (60)

 

8) entretien avec le docteur Solovski, et l’infirmière en chef du service de réanimation Mme Lickubusch de l’hôtel–Dieu de Valenciennes