METHODOLOGIE DE L'ENTRETIEN

 1. LES DIFFÉRENTS USAGES POSSIBLES DE L'ENQUÊTE PAR ENTRETIEN

L'enquête par entretien peut être utilisée pour des usages divers

Selon le degré d'avancement de la problématique et le degré d'élaboration des hypothèses, l'enquête sera conçue différemment, notamment en ce qui concerne le plan de l'entretien

1,1/ L'enquête par entretien à usage exploratoire: L'entretien est l'outil de prédilection de la phase exploratoire d'une enquête dans la mesure ou il est lui-même un processus exploratoire. Parce qu'il contient une possibilité permanente de déplacement du questionnement et permet un processus de vérification continu et de reformulation d'hypothèses tout au long de la recherche, il est particulièrement indiqué en début d'enquête, lorsque les hypothèses de départ ne sont encore qu'incomplètement formulées. En cela, il s'oppose radicalement au questionnaire. Il est normal dans ce type d'entretien que l'essentiel soit exprimé sans référence a des questions directes. Ainsi, la forme précise de telle ou telle question ne joue pas un rôle fondamental lors de l'analyse; et l'on peut au fur et a mesure que l'enquête progresse, s'intéresser a des questions nouvelles, voire déplacer le centre d'attention, sans pour autant mettre en danger la cohérence de l'enquête.

1,2 / L'enquête par entretien à usage principal: Ce sont les enquêtes dont l'entretien constitue le mode de collecte principal de l'information. Cet usage suppose que les hypothèses aient été constituées et coordonnées en modèles explicatifs. Dans ce cas, le plan d'entretien, lui-même structuré, sera élaboré pour que les données produites puissent être confrontées aux hypothèses.

1,3 / L'enquête par entretien à usage complémentaire: Selon qu'elle est postérieure, parallèle ou corrélative à d'autres moyens d'enquête, l'enquête par entretien ne remplit pas la même fonction. Soit elle enrichit la compréhension des données, soit elle les complète, ou bien encore elle contribue à leur construction et à leur interprétation.

Exemple: I' enquête par entretien postérieure à l'enquête par questionnaire

Le recours à l'entretien sert dans ce cas à contextuer des résultats obtenus préalablement par questionnaire, observation ou recherche documentaire. Les entretiens complémentaires permettent alors l'interprétation de données déjà produites.

 

2. LA CONCEPTION DE L'ENQUÊTE

La conception proprement dite de l'enquête recouvre plusieurs opérations qui s'enchaînent et, souvent, se superposent. Chacune d'elles implique néanmoins des options précises. La définition de la population et la sélection de l'échantillon, le mode d'accès aux interviewés et la planification des entretiens engagent ainsi la recherche dans sa phase réellement opératoire, et chacune de ces opérations entraîne des conséquences particulières. Toutefois, l'entretien, plus que le questionnaire, autorise des réajustements en cours de route.

2,1/ Population et échantillon

Une fois les hypothèses formulées, le choix de l'enquête arrêté, son objectif et sa fonction dans le dispositif de recherche définis, se pose la question de savoir qui interroger et dans quelle population.

Définir la population, c'est sélectionner les catégories de personnes que l'on veut interroger, et à quel titre; déterminer les acteurs dont on estime qu'ils sont en position de produire des réponses aux questions que l'on se pose.

Dans certains cas, les interviews de représentants de groupes sont quasi obligatoires pour accéder aux membres du groupes. Mais même dans ce cas, ils peuvent ne pas être dénués d'intérêt

La détermination du nombre d'entretiens nécessaires à une enquête particulière (la taille de l'échantillon) dépend du thème de l'enquête et de la diversité des attitudes supposées par rapport au thème, du type d'enquête (exploratoire, principale ou complémentaire), du type d'analyse projeté (recensement de thèmes ou analyse de contenu plus exhaustive), et enfin des moyens dont on dispose (en temps et en argent).

2,2/ Le plan d'entretien

Parallèlement à la préfiguration de l'échantillon, il convient de concevoir le plan des entretiens. Le plan comprend à la fois l'ensemble organisé des thèmes que l'on souhaite explorer (le guide d'entretien) et les stratégies d'intervention de l'interviewer visant à maximiser ltinformation obtenue sur chaque thème. L'élaboration du plan constitue une étape supplémentaire dans le processus d'établissement de l'enquête.

L'entretien peu structuré s'emploie lorsque cette connaissance est faible (entretiens exploratoires), alors que l'entretien structuré s'emploie lorsqu'on dispose d'informations plus précises sur le domaine étudié et sur la façon dont il est perçu et caractérisé (enquête principale ou complémentaire).

L'entretien peu structuré: Il suppose la préparation de deux éléments: la formulation d'une consigne* et la préfiguration d'axes thématiques.

(* On appelle consigne l'instruction de l'interviewer qui définit le thème du discours attendu de l'interviewé)

L' entretien structuré: il suppose, quant à lui, la formulation d'une consigne, la constitution d'un guide thématique formalisé et la planification de stratégies d'écoute et d'intervention.

Le guide d'entretien se distingue ainsi fonctionnellement du protocole du questionnaire dans la mesure où il structure l'interrogation mais ne dirige pas le discours. Il s'agit d'un système organisé de thèmes, que l'interviewer doit connaître sans avoir à le consulter ni à le formuler sous la forme d'un questionnaire. En effet, ce guide a pour but d'aider l'interviewer à élaborer des relances pertinentes sur les différents énoncés de l'interviewé, au moment même où ils sont abordés. Cette technique permet donc, du moins en principe, à la fois d'obtenir un discours librement formé par l'interviewé, et un discours répondant aux questions de la recherche.

La phase de préparation anticipe la réalisation des entretiens. Elle permet donc de prévoir et d'organiser les différentes étapes de leur déroulement.

 

3. LE DEROULEMENT DES ENTRETIENS

Pour favoriser la production d'un discours linéaire et structuré, l'interviewer dispose de trois techniques:

- la contradiction, qui est une intervention s'opposant au point de vue développe précédemment par l'interviewé;

- la consigne ou question externe, qui est une intervention directrice introduisant un thème nouveau;

- la relance, sorte de paraphrase plus ou moins deductive et plus ou moins fidèle, qui est une intervention subordonnée, s'inscrivant dans la thématique développée par l'interviewé.

3,1/ La contradiction

La contradiction apportée par l'interviewer est un mode d'intervention qui contraint l'interviewé à soutenir l'argumentation de son discours. Mais ce type d'intervention implique une modification du cadre de l'enquête dans la mesure où l'enquêteur donne des informations à l'enquête sur ses opinions et positions. Ce type d'intervention induit une tendance de l'interviewé à extrêmiser ses opinions. D'autre part, en apportant la contradiction, l'interviewer quitte son statut de neutralité, à moins qu'il ne prenne un rôle explicite de porte-parole du parti opposé.

3,2/ Les consignes

Une consigne est une intervention visant à définir le thème du discours de l'interviewé. Tout entretien de recherche débute par une consigne inaugurale; celle-ci doit être claire, non contradictoire avec le contrat initial et plus précise que ce dernier quant à l'objet de la demande. La consigne donne à l'interviewé le contexte thématique et logique de l'entretien. Le champ des réponses attendues doit être suffisamment large pour que tous les interviewés d'un même échantillon puissent y inscrire leur propre discours.

Les consignes sont formulées comme des demandes de réponse discursive concernant soit les représentations de l'interviewé, soit ses expériences. Dans le premier cas la consigne induit un discours d'opinion: " J'aimerais que vous me parliez de ...., ce que ça représente pour vous." Dans le second cas, la consigne induit un discours de narration:

"J'aimerais que vous me parliez de ...., comment ça se passe. "

Le rôle des consignes est essentiel dans l'entretien. Ces instructions ajoutent des éléments d'information au cadre contractuel dont le respect est un enjeu pour que soit assurée la pertinence du discours. Chaque consigne introduit une séquence thématique nouvelle. La multiplication des consignes traduit à l'interviewé la part de structuration que l'interviewer entend donner au discours produit. Rappelons que plus le discours est structuré par l'interviewer, moins le discours de l'interviewé est prolixe, associatif et articulé selon une cohérence interne. Par contre, la relance constitue l'intervention type de l'entretien de recherche parce qu'elle tend à favoriser une rétroaction de l'interviewé sur son propre discours, qui l'amène a expliciter davantage sa pensée et à développer le fragment de discours mis en question (contesté) indirectement par l'intervention.

3,3/ Les relances

Les relances prennent pour objet le dire antérieur de l'interviewé. Elles ne commandent pas le discours de l'interviewé comme les questions directes, elles ne s'opposent pas aux arguments énoncés, mais elles se coulent dans ce discours qui prend une fonction d'acte directeur dans le dialogue. Les relances ne définissent pas les the mes à évoquer, elles stinscrivent dans le déroulement des énoncés de l'interviewé comme des fragments de contenus subordonnés à ce dernier. Ce sont des actes réactifs.

Les relances de l'interviewer ont cette particularité d'être des commentaires : elles prennent comme support le discours de l'interviewé. Par ses relances, l'interviewer paraît ne rien dire qui n'ait été déjà dit: il souligne, synthétise, reformule, demande une précision, et semble laisser à l'interviewé la part essentielle de la construction discursive. Pourtant chaque relance est différente et à chacun de ses tours de parole, l'interviewer dispose d'un éventail assez large de choix parmi plusieurs solutions possibles. De ce fait, il est difficile de soutenir qu'une relance n'aurait qu'un simple rôle de ponctuation ou de confirmation. Une relance acquiert en effet pour l'interviewé une valeur informative à laquelle son discours répondra nécessairement. Les relances guident le discours, l'influencent dans son contenu et sont également susceptibles d'entraîner des modifications de l'opinion des interviewes.