Opacité, déprise, dérive.

Visionnez cette œuvre : Opacité (2011), de Serge Bouchardon,

Question

Que signifie le mot "opacité" ? Quel lien faîtes vous entre ce mot et cette œuvre ? Plus largement, que lien faîtes vous entre ce mot et l'écriture interactive ?

Solution

L'opacité est une dimension fondamentale d'une œuvre numérique interactive puisque le lecteur ne sait jamais la manière dont le programme va réagir. Celui-ci lui est invisible, et ses effets ne sont pas prévisibles.

Dès le premier tableau, cette notion est fondamentale, il s'agit d'ouvrir la boîte noire qu'est l'ordinateur. Si on voit bien le clavier (organe d'entrée) ou l'écran (organe de sortie), on ne voit jamais l'ordinateur et ses algorithmes en tant que tel.

Ces citations sont révélatrices :

« Ce matin, tout me semble opaque. Je voudrais voir à travers mon ordinateur. Je rêve de transparence. Je veux voir clair en moi. Et dans les autres. (...) J'entends l'eau couler. Je perçois des formes. Un mystère. Une promesse sans fin. Un désir d'opacité. Je ne cherche plus la transparence Mais des sensations et des interactions Opaques. »

Chacun des tableaux, permet à l'internaute de découvrir les réflexions d'un homme en proie au fantasme de la transparence. Or, plus le récit progresse, plus le narrateur abandonne l'idée de transparence et lui préfère celles d'opacité et de mystère. La figure de la femme, comme autre inaccessible, est présente tout au long du récit, et ne se dévoile jamais dans son impossible transparence.

Question

Est-ce une œuvre interactive ?

Solution

Oui, même si à proprement parler le lecteur n'écrit rien, il active pourtant le programme et la visibilité de l’œuvre.

Pour visualiser chacun des tableaux, l'internaute doit promener le curseur de sa souris sur différentes zones de l'écran et accomplir ainsi certaines tâches précises: faire apparaître l'image caché d'un circuit électronique, effacer la buée sur la vitre d'une douche, etc.

Sans cela le tableau ne se dévoile pas complètement. Sans cela la voix de la femme qui clôt chaque section n'interpellerait pas l'internaute : «Où es-tu ?», «Que cherches-tu ?», «Je t'éclaire», «Où suis-je ?».

Consultez cette œuvre interactive : Déprise (2010) de Serge Bouchardon et Vincent Volckaert.

Divisée en six chapitres, elle se construit autour des réflexions d'un homme qui se rend compte que sa femme lui est étrangère et que son fils, qu'il connaît mal, s'éloigne de plus en plus de lui. En perte de contrôle, l'homme se questionne sur ses choix passés et sur la manière de reprendre sa vie en main.

« Toute ma vie, j'ai cru avoir devant moi un champ des possibles infini. «L'univers entier m'appartient», pensais-je. J'ai le choix. Je suis maître de mon destin. Je peux prendre ce qui me plaît. Je deviendrai ce que je veux. J'ai tracé mon propre chemin. J'ai parcouru de magnifiques paysages. Quoi de plus naturel, je les avais choisis. Mais depuis un moment, j'ai des doutes. »

Question

Qu'est-ce que vous évoque le mot "déprise" ? En quoi ce mot nous permet de comprendre le récit interactif ?

Solution

Déprise est une création sur les notions de prise et de contrôle. 

Or, de même que le récit hypertextuel s'accompagne souvent d'une désorientation, de même le récit interactif s'accompagne souvent d'une certaine perte de repère. Le propre d'un récit interactif est qu'il ne nous prend pas complètement en main. Il ne nous dit pas toujours quoi faire, ni comment.

Plus généralement, cette idée de "déprise" révèle les paradoxes propres aux technologies de l'information et de la communication. La prise en main de l'ordinateur s'accompagne souvent de déprise (et de méprise sur ce qu'est un ordinateur). Cette technologie de contrôle s'accompagne souvent d'une perte de contrôle (de notre temps par exemple).

Question

Donnez des exemples d'actions produites grâce au curseur, aux touches.

Solution

Les dispositifs interactifs permettant de progresser dans l’œuvre sont nombreux: souvent, l'internaute doit passer le curseur de sa souris sur les phrases qui s'affichent pour qu'elles se transforment, se succédant ainsi les unes aux autres.

  • Dans le premier chapitre, les clics et mouvements de la souris déclenchent l'apparition de taches colorées accompagnées de sons harmonieux.

  • Dans le deuxième, les passages du curseur provoquent l'apparition d'un déluge de questions posées par le narrateur ; au fur et à mesure que les lettres s'accumulent, formant une toile continue, l'internaute y découvre le visage d'une femme.

  • Dans le troisième chapitre, un mot laissé par la femme du narrateur peut être lu tantôt comme un mot d'amour, tantôt comme une lettre de rupture, selon la position du curseur de la souris (qui contrôle à la fois le défilement du texte et la trame sonore).

  • Dans le quatrième chapitre, en cliquant sur les lettres affichées à l'écran pour les faire s'écarter, l'internaute découvre des phrases cachées entre les lignes d'un texte écrit par le fils du narrateur: «nous n'avons rien en commun», «bientôt je partirai», etc.

  • Dans le cinquième, l'image de l'internaute est saisie par sa Webcam. Cette image, apparaissant en temps réel à l'écran, peut être manipulée et distordue à l'aide de la souris.

  • Finalement, dans le sixième chapitre, l'internaute est invité à taper sur les touches de son clavier. Or, dans le champ de saisie, ce n'est pas son propre texte qui apparaît au rythme des touches qui s'enfoncent mais un texte autre, où se fait entendre le narrateur.

Consultez cette œuvre : changerTout de Serge Bouchardon, Vincent Vockaert et Hervé Zénouda.

« S'accrocher renoncer chaque ... en dépit de éternellement ne savoir sur quel pied danser / S'agripper faire ceinture chacun ... nonobstant invariablement ne savoir sur quel pied danser / Prendre se serrer la ceinture ... malgré immuablement ne savoir sur quel pied danser / Avaler se serrer la ceinture ... contre éternellement ne savoir sur quel pied danser »

Question

En quoi cette œuvre fait écho aux deux œuvres précédentes ?

Solution

Car elle illustre l'idée de dérive.

Ici c'est la notion de glissement de sens qui mise en avant, illustrant par là un des risques majeurs de la navigation hypertextuelle. En outre, cette œuvre interroge les traitements automatiques effectuée sur la langue (recherche automatique de synonyme, ou traduction automatique, etc.).

À l'écran, des mots apparaissent, formant tantôt des phrases ordinaires (par exemple, «Découvrir une création de littérature numérique»), tantôt des adages («Les voyages forment la jeunesse»). Or, l’œuvre exploite des dictionnaires en ligne pour transformer peu à peu chaque mot, le faisant glisser d'un synonyme à l'autre et l'éloignant ainsi peu à peu de son sens original – déformant du coup la phrase jusqu'au non-sens.

Clic après clic, l'utilisateur déclenche une dérive progressive du sens. L'utilisateur est également invité à prendre part à la sélection. Par un clic prolongé, il a accès à la liste des synonymes, dans laquelle il peut choisir la version qu'il préfère. L'icône abc... lui permet enfin de jouer avec ses propres phrases.