Poésie combinatoire...

Selon les mots Queneau dans sa préface, «  Ce petit ouvrage permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C'est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d'années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ».

Le livre peut être vu comme composé de dix feuilles, chacune séparée en quatorze bandes horizontales, chaque bande portant sur son recto un vers. Le lecteur peut donc, en tournant les bandes horizontales comme des pages, choisir pour chaque vers une des dix versions proposées par Queneau. Les dix versions de chaque vers ont la même scansion et la même rime, ainsi chaque sonnet parmi tout les possibles est régulier dans sa forme.

Cent mille milliards de poèmes

Le numérique comme le poème de Queneau est une combinatoire d'élément pré-écrits.

qui peut faire jouer l'aléa. Les vers sont tous pré-écrits. De même, une des principales propriétés de l'écriture numérique est de sélectionner parmi une base de données toujours déjà pré-écrites.

  • Pour bien comprendre de quoi il s'agit, cette vidéo.

  • Il existe une version numérique ici, ici, ou (en anglais avec diagramme).

Question

Cette œuvre peut-elle être dite interactive ?

Solution

Oui, en ce sens que l'action du lecteur détermine le contenu de ce qui est écrit.

Non, si on adopte la définition restrictive de l'écriture interactive : l'interactivité repose sur l'écriture informatique des lectures numériques, autrement sur le programmation informatique de l'intervention du lecteur sur l’œuvre numérique.

Question

Cela a-t-il un sens de dire que l'ordinateur a écrit un poème ?

Solution

C'est une question difficile.

  • En un sens non, puisque l'ordinateur ne sait pas ce qu'est un poème !

  • En un sens oui, puisque l'ordinateur est aujourd'hui en mesure de produire un texte, selon des règles combinatoires déterminées, mais au résultat imprévisible.

Il est difficile de qualifier une machine d'auteur, quelles que soient les connaissances implémentées dans le logiciel, c'est plutôt un simulateur. Le véritable auteur n'est pas le robot-poète mais le concepteur du robot-poète.

Complément

Pour rappel les Cent mille milliards de poèmes date de 1961, et Un conte à votre façon de 1967.

Or, dès 1959, Théo Lutz programme les premiers textes (poèmes) générés sur ordinateur (à partir des cents premiers mots du Château de Kafka). Quelques années plus tard, Nanni Balestrini s'essaie à de recompositions aléatoires de textes sur une machine IBM (Text Mark I et II) ; 1962, Marc Saporta publie Composition n°1, premier roman combinatoire ; 1964, Jean Baudot publie La Machine à écrire, recueil de textes produits par ordinateur.

Complément

L'histoire de la rencontre de la poésie et de l'informatique est déjà vieille (pour un court bilan, on lira ce texte d'Alain Vuillemin).

Philippe Bootz, spécialiste de la question, répond à la question qu'est-ce que la littérature générative combinatoire et Qu'est-ce que la génération automatique de texte littéraire ?

Un générateur de texte est un programme qui crée du texte à partir d'un ensemble de règles qui constituent une grammaire et d'un ensemble d'éléments préconstruits qui forment un dictionnaire.

  • GÉNÉRATEUR COMBINATOIRE : Un générateur combinatoire est un générateur de texte qui combine selon des règles algorithmiques spécifiques des fragments de textes préconstruits. Vous en trouverez quelques exemple ici.

  • GÉNÉRATEUR AUTOMATIQUE DE TEXTE : Un générateur automatique de texte crée des textes à partir d'un dictionnaire de mots et d'une description informatique des règles d'assemblage de ces mots.

Philippe Bootz distingue littérature assistée par ordinateur et littérature numérique.

  • LITTÉRATURE ASSISTÉE PAR ORDINATEUR : Dans la conception de la littérature assistée par ordinateur, l'informatique ne joue qu'un rôle auxiliaire, elle n'est considérée que comme un outil. On considère que l'œuvre se limite au résultat produit par l'ordinateur, éventuellement retouché ou modifié par l'auteur. Cette œuvre est alors diffusée sur des supports traditionnels, le plus souvent le livre. Elle sort du médium informatique ou, lorsqu'il est utilisé pour diffuser l'œuvre, il simule un autre médium, le plus souvent la vidéo.

  • LITTÉRATURE NUMÉRIQUE : Nous désignerons par « littérature numérique » toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme médium et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium.

La génération serait inhérente au programme et au code (en tant que milieu génératif permettant d'engendrer tout un espace de possibles). L'écriture numérique serait la rencontre improbable entre la génération automatique ou calculée et l'effet de sens singularisant (effet de sens différentiel mais unique et singulier par rapport à une norme établie).