Modèle et architexte.

Lorsque je remplis un formulaire, je dois respecter des champs préétablis comme le nom, la date de naissance, la photo... Le formulaire est un modèle de document.

Le modèle est toujours abstrait, mais l'abstraction[1] numérique est particulière, car elle est la condition de possibilité de :

  • la séparation du contenu et de la forme documentaire  ;

  • du contrôle éditorial et de l'automatisation de ses tâches.

RappelDe l'abstraction à la modélisation.

Abstraire, dans le langage courant, c'est isoler, séparer mentalement un élément, une propriété d'un objet afin de les considérer à part. Qu'est-ce que le numérique permet de séparer, d'isoler ?

Une première séparation : entre le code et le support. Le codage binaire est neutre vis-à-vis du support qui le réalise, il suffit de pouvoir obtenir deux états distincts d'un support (en écriture et en lecture) au moyen par exemple de :

  • cartes à trous,

  • bandes magnétiques,

  • DVD,

  • disques durs,

En ce sens, le code est coupé de son support, ses propriétés peuvent être isolées, il y a abstraction de par cette coupure matérielle.

Une seconde séparation : entre le code et les entités signifiantes. Les 0 et les 1 qui composent le code binaire n'ont pas de sens par eux-mêmes. Pour pouvoir être représentés à l'écran sous formes d'entités interprétables par un humain, un calcul va devoir être réalisé par la machine (exemple : le code ASCII pour le texte).

Du fait de cette double coupure (matérielle et sémantique) ou double abstraction, les contenus numériques sont manipulables [2]tant dans leur contenu que dans leur forme.

DéfinitionArchitexte.

L'architexte[3] est une écriture des conditions d'écriture. L'architexte désigne des objets informatiques qui sont en position de régir l'écriture, de lui donner ses formats et ses ressources.

  • ex. le traitement de texte fournit les ressources de notre rédaction.

  • ex. le logiciel de messagerie offre le cadre de nos échanges.

L'architexte n'est pas seulement un modèle intellectuel du texte (pour Gérard Genette[4] l'architexte est « l'ensemble des catégories générales... dont relève chaque texte singulier. »). En contexte numérique, l'architexte renvoie au fait que les textes sont le produit d'autres textes qui les gouvernent et les mettent en forme (pour Jeanneret et Souchier[5] l'architexte est « un modèle qui vient s'incarner dans le logiciel », des « formes écrites actives avec lesquelles on va écrire ».)

« Les médias informatisés sont des machines à suggérer. Ils suggèrent, dans un double sens : selon l'étymologie, cette écriture plastique mais régie par les architextes gère par en-dessous la propagation des formes à travers lesquelles les divers pratiques historiques des sociétés peuvent être saisies par l'archive, qui les collecte, les transforme, les légitime, les publicise, les refoule ; selon le sens courant du terme, la création constante de nouvelles formes écrites suggère des possibilités d'expression et de pratique, elle rend possible des interprétations, des appropriations, des reprises. » (Tardy, Jeanneret[6], p. 214)

Plutôt que des stéréotypes (stéréos : compact, tupos : empreinte), l'architexte informatique fonctionne comme un plastigramme (plassô : façonner, gramma, ériture). Un stéréotype se reproduit exactement de la même manière, un plastigramme comme Powerpoint se reproduit en se transformant, il impose un même modèle d'écriture mais ne reproduit pas un même écrit.

Pour plus de détails, on pourra regardez la vidéo-interview d'Yves Jeanneret sur la sémiotique de l'écriture (trois liens en bas de page, 20 minutes).

Modèles prédéfinis.

Écrire sous modèle, c'est toujours écrire selon une grammaire et un dictionnaire prédéfinis. Cela est valable pour un traitement de texte ou pour n'importe quel logiciel de création multimédia par exemple.

  • ex. sélection d'un style prédéfini dans Word de Microsoft ou dans WordPress pour créer une page Web ;

  • ex. sélection de l'un des "modèles standards" pour réaliser une diapositive sur PowerPoint.

L'écriture numérique est en grand ce que cette machine à écrire des chansons est en petit !

Machine à écrire des chansons

« Les objets néomédiatiques sont rarement créés ex nihilo ; ce sont généralement des assemblages de parties toutes faites. Autrement dit, dans la culture informatique, la création authentique a été remplacée par la sélection dans un menu. Au cours du processus de réalisation d'un nouvel objet, les concepteurs sélectionnent dans un fonds des modèles et des textures 3D, des sons et des comportements, des images d'arrière-plan et des boutons, des filtres et des transitions » (Manovich[7], p. 248).

Ceci est valable pour le concepteur mais aussi pour l'utilisateur.