Contributions

Résumés des contributions

Jan Baetens : Poésie électronique : entre image et performance. Une analyse culturelle

Le présent texte s'efforce de faire une analyse "culturelle" de la poésie électronique. Au lieu de s'interroger seulement sur les propriétés spécifiques du genre et sur l'émergence d'un nouveau type de canon, il cherche à analyser le contexte dans lequel fonctionne cette poésie, qui cesse d'être centrée sur une oeuvre pour s'ouvrir à toutes sortes de performances. Enfin, il examine aussi les contrecoups souvent étonnants de la poésie électronique sur l'objet-livre puisque, paradoxalement, la poésie électronique continue à s'imprimer.

Jean-Pierre Balpe : Programme et contrainte

« Littérature à programme, littérature programmée, littérature à contraintes » : la terminologie est assez confuse et il n’est pas rare que l’on assimile la littérature programmée à une littérature à contraintes de type oulipien, ne serait-ce que parce que divers membres de l’Oulipo sont à l’origine de la fondation en 1981 de l'Alamo (Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs). Or, si ces approches se retrouvent sur quelques points communs notamment d'ordre idéologiques, elles sont en fait - tant les conceptions de la littérature que les « effets» littéraires auxquelles elles sont liées diffèrent sur de nombreux points - très profondément divergentes. Les procédures d'engrammation qui permettent la production de textes n’ont en effet rien de commun, or ce sont elles qui, pour une large part, fondent les spécificités du littéraire.

Philippe Bootz : La littérature déplacée

Cet article rappelle l’historique de la poésie numérique et présente l’évolution de ses genres. Il décrit comment la problématique littéraire s’est déplacée, en littérature numérique, de la question du texte à celle de la lecture puis à la notion de forme programmée telle qu’elle est appréhendée par les auteurs du collectif Transitoire Observable.

Serge Bouchardon, Les récits littéraires interactifs

Le récit littéraire interactif, qu'il soit hypertextuel, cinétique, génératif ou collectif, correspond à un vaste champ d'expérimentation plus qu'à un genre autonome. Les auteurs s'efforcent ainsi d'exploiter le support numérique et le dispositif technique dans son ensemble à des fins narratives, en faisant appel à des procédés mêlant jeu sur les frontières, fictionalisation et réflexivité. Mais plus que dans la qualité des réalisations, l'intérêt principal de ce type de récits réside dans sa valeur d'objet heuristique : le récit littéraire interactif permet d'interroger le récit dans son rapport au support, mais aussi d'interroger la littérature elle-même.

Michel Cals : Ateliers d’écriture en réseau

Les ateliers d'écriture se multiplient sur Internet, soulevant nombre de questions essentielles. Comment fonctionnent-ils ? A quel public s'adressent-ils ? Quels effets génèrent-ils auprès des usagers, de l'auditoire, et au-delà dans le champ des pratiques littéraires ? Peut-on avancer qu'ils répondent à de nouveaux dispositifs de médiation culturelle et à de nouvelles formes de sociabilité ? Ou, sur un autre plan, déduire de leur émergence, l'hypothèse selon laquelle la raison numérique serait en voie d'éclipser la raison graphique ? Nés outre-atlantique, acculturés en France dans la mouvance de la pensée 68, les ateliers d'écriture ont généré de nouvelles pratiques et tissé des liens inédits entre leurs acteurs. Pleinement inscrits dans l'espace socio-culturel de la post-modernité, les ateliers d'écriture s'approprient aujourd'hui les nouveaux outils électroniques en connectant leurs sites autour d'anneaux interactifs, présidant au déploiement d'un nouveau type d'écriture en réseaux. Instruments pédagogiques de formation à l'écriture, espaces ludiques d'expression et d'exhibition de soi, champs d'expérimentation de nouvelles formes poétiques et narratives, les ateliers en réseaux constituent des formes inédites de communautés virtuelles qui explorent et expérimentent les potentialités du cyberespace. A l'heure où certains écrivains comme Michel Butor s'interrogent sur les effets produits par la littérature électronique reste à savoir si les ateliers en réseau, dans leur diversité, sont susceptibles de générer une révolution médiologique équivalente à celle de l'imprimerie et si la cyberlittérature saurait se constituer en possible horizon de la littérature.

David Christoffel : La pressure du destinataire

La question pourrait être : quel rapport y a-t-il entre les lettres à une inconnue de Gherasim Luca et les expériences mail de David Still ? La question ne sera pas frontalement posée, car nous ne réfléchissons pas à la question du spam-art en tant que telle. Ou : ce qui désormais peut s’appeler « spam-art » doit autant retaper ses origines, ses influences, ses motivations, lorsqu’avec Ma Newsletter du Dimanche, nous retraçons le fait d’envois non sollicités en envisageant par quels fantasmes, il s’agissait moins de spam et d’art que d’un dispositif épistolaire spécial. Dès lors, pour aussi minimisée que soit la différence, elle engage des problématiques très opposées : puisqu’il ne s’agit pas d’affirmer le spam-art du point de vue des intentions terribles nouvelles formidables qu’il permet (alors que toujours suspendues à une obligation de revendication, ne serait-ce que par la malice de ses non-dits), il s’ensuit réellement ceci d’expérimental : quand la réponse ne peut rien à la forme et à la périodicité des envois, l’épistolaire n’en est-il que plus sévignable ?

Jean Clément : Jeux et enjeux de la littérature numérique

La cyberlittérature, plus que toute autre, relève de façon consubstantielle du domaine du jeu. Elle a ses origines dans le jeu littéraire et atteint ses limites dans le jeu vidéo et la création multimédia. Analysée sous l'angle du jeu, elle marque sa parenté avec la littérature de la règle et de la formule. A l’appui de cette hypothèse, l’article tente d’appliquer les catégories conceptuelles du jeu aux œuvres littéraires numériques et s’interroge sur le statut épistémologique de ces dernières.

Eduardo Kac : L'holopoésie

L'holopoésie traite le mot comme une forme "immatérielle", c'est-à-dire comme un signe qui peut changer ou se dissoudre dans l'air, en brisant sa rigidité formelle. Libéré de la page et libéré de tout autre matériau tangible, le mot envahit l'espace du lecteur et force celui-ci à le lire de façon dynamique ; le lecteur doit se déplacer autour du texte et trouver les significations et les connexions que les mots établissent les uns avec les autres dans l'espace vide. Ainsi, un holopoème doit être lu avec des ruptures, dans un mouvement irrégulier et discontinu, et il changera selon les différentes perspectives d'où il est vu. La relation linguistique qui produit le sens - la syntaxe - est constamment en train de changer à cause de l'activité perceptuelle du lecteur. La "syntaxe perceptuelle" de l'holopoème est conçue aussi pour créer un système de signification mobile et ainsi étendre son pouvoir expressif d'embrasser le temps, puisque les mots ne sont plus fixés sur une surface mais bougent et flottent plutôt dans l'espace.

Frédéric Madre : Blog : un chien parmi les chiens, contraintes

L'auteur s'attache à détruire le blog, système pauvre et parasitaire, puis à détailler pour les irréductibles les maigres accessoires qu'on puisse garder de son éviscération.

Xavier Malbreil : Ecrire sur un clavier est une contrainte

La première des contraintes de l'écriture littéraire, c'est l'écriture elle-même, le geste matériel d'inscription.
L’écriture « à la main », plume ou stylo en main, était réputée chez les écrivains français du milieu du siècle plus juste, plus authentique, parce que c’est de la main que viendrait la vérité, et parce que la machine, ce serait sale, vulgaire, ou pire encore, ça sentirait trop sa secrétaire.
L’écrivain anglo-saxon de la même époque écrit sur machine à écrire, il est raccord avec le siècle de l’acier, de la mécanique, du mécanisme. L’écriture sur machine à écrire tient de la sculpture, de la boxe, de la rixe, et du tissage, du tricotage, du rémoulage.
Aujourd’hui, je n’écris plus qu’avec un ordinateur. Ecrire à la main serait pour moi une « contrainte » insupportable.
Quand je tape un texte sur un clavier d’ordinateur, quand je vois les mots s’inscrire sur l’écran, quand j’efface, je copie, je coupe, je colle, quand j’utilise des javascripts, ou me sers de tout autre langage de programmation, comment oublier toute la puissance de calcul à l’ouvrage, comment oublier que le texte lu à l’écran n’est que la dernière couche, qui vient affleurer, n’est qu’une manifestation pratique donnée par les langages de programmation ?
Je n’écris pas ce que je vois.
J’écris ce que la machine veut bien me transmettre, à partir d’une interprétation d’ordres donnés par mes dix doigts. Dans tout l’enchaînement des programmes écrits par d’autres, des programmes qui s’empilent les uns sur les autres, je n’ai rien à dire.
Qu’ils restituent fidèlement les ordres donnés par mes doigts, pour peu que l’ordinateur fonctionne correctement, n’est certes pas une garantie suffisante de fidélité à ma pensée, ni de liberté d’écriture.

Alexandra Saemmer : Comment lire la Littérature programmée ?

Dans la discussion sur l’« Art programmé », la problématique du Prévisible et de l’Imprévisible, du « Potentiel » et du « Virtuel » occupe une place centrale. C’est le programme d’action d’une virtualité inhérente à l’œuvre programmée qui sera analysée dans cet article à partir de La Série des U de Philippe Bootz et La Révolution a New York a eu lieu de Gregory Chatonsky. Philippe Bootz, s’appuyant sur les récentes recherches en sciences cognitives, développe dans ses ouvrages critiques une approche de l’œuvre électronique basée sur le modèle procédural. Dans ses créations, il essaie de simuler les processus qui se déroulent lors du traitement de l’information par le cerveau humain. Le cerveau humain est un système ouvert. L’œuvre informatique peut-elle l’être ? Doit-elle l’être ? Aura-t-elle comme but de refléter sa propre création dans des formalismes de plus en plus complexes, s’inscrivant dans un « réalisme moderne » déjà partiellement théorisé et expérimenté par l’OuLiPo ? Les programmes peuvent-ils engendrer de l’Improbable, peuvent-ils tolérer, voire engendrer l’irruption au cœur de la répétition ? Dans son œuvre La série des U publiée sur le CDRom Alire 12, Philippe Bootz se confronte de manière programmatique aux préceptes de l’OuLiPo. Je proposerai, dans un premier temps, une analyse littéraire très détaillée de ce qui a été perçu lors de l’une des actualisations de la Série des U, extrait de Passage de Philippe Bootz. Sera ensuite présenté et commenté La Révolution à New York a eu lieu, œuvre programmée par Gregory Chatonsky basée sur le roman Projet pour une révolution à New York d’Alain Robbe-Grillet. « Comment une œuvre se dérobe-t-elle à l’esthétique cybernétique, à l’esthétique du contrôle ? », demande Chatonsky. Dans La Révolution a New York a eu lieu, il donne une réponse possible à cette question en ouvrant l’œuvre vers la mémoire fluctuante du World Wide Web. Peut-être la technologique du réseau est-elle, comme l’affirme la philosophe Anne Cauquelin, effectivement « le seul moyen qu’on ait de relier les deux mondes : celui du sensible et des possibles, celui des idéalités et du virtuel. De relier les possibilités, tout ce qui est inactuel et peut devenir actuel, au monde des virtualités, des idéalités mathématiques ».

Françoise Weck : La cyberpoésie aux frontières de la littérature ?

Discrètement - peu d’échos médiatiques et un début de théorisation - mais résolument – ces nouvelles écritures s’affichent sur le web - se développent des pratiques d’écriture inédites. Quelques soient les dénominations de ces « démarches littéraires machinées »: textualités numériques ou « Littératures animées de source électroniques », poésie dynamique, écritures multimédias, voire cyberlittérature, bien loin de n’être que sous-littérature technologisée, elles présentent des caractéristiques originales à même de réinventer l’acte d’écrire, de lire et de diffuser le texte littéraire.
On voit ici s’opérer un déplacement de la littérarité du texte « aux règles de calcul elle même : écrire n’est plus produire un texte donné mais établir des modèles abstraits de texte.» La génération de texte littéraire appartient-elle encore à la littérature ? C’est la question qui nous intéresse ici.
La cyberlittérature constitue en fait une véritable révolution épistémologique. L’émergence de ces nouvelles « formes » d’écriture remet en question la littérature dont elles interrogent les pratiques et les modalités en reconfigurant la création littéraire et les conditions de sa consommation. La rupture est consommée avec une certaine idéologie du littéraire : le mythe de l’unicité de l’œuvre est mis à mal, celui d’intention d’auteur sérieusement écorné, la persistante tradition d’une herméneutique littéraire violemment bousculée. La cyberlittérature interroge tous les concepts qui définissent le littéraire : celui d’auteur - créateur souverain d’un texte intangible -, la notion de texte - objet clos et immuable -, la représentation de l’acte de lecture - soumission admirative à l’ordre figé du texte. D’autres éléments fondateurs sont aussi balayés comme ceux de brouillon, de ratures, de remords d’écriture ou encore de manuscrit. « Plus de livre fini, figé, d’œuvre complète et achevée, d’auteur génial et statufié, de droit d’auteur semi-divin, (…) d’édition princeps, de propriété littéraire…L’invention a changé de terrain. »
Qu’en est-il de la littérarité dans cette tourmente ? L’usage littéraire de la langue en est-il aboli ou redéfini, interrogé ? Nous tenterons ici d’apporter des éléments de réponse.