Qu'est-ce que le numérique ?

Les trois niveaux du numérique.

DéfinitionLe numérique.

Le numérique est le procédé qui consiste à traduire du qualitatif en quantitatif, des quale en quanta. Le numérique correspond au système formel couvrant la totalité du calculable, c'est-à-dire des traitements d'information effectuables par une machine.

Rappel

  • Les contenus numériques sont codés en langage binaire.

  • Ses éléments sont discrets, c'est-à-dire séparés les uns des autres : vrai ou faux, 0 ou 1, allumé ou éteint...

  • Ils sont manipulables en fonction des règles formelles de calculs, règles prédéfinies et automatiquement appliquées.

  • Les ensembles de règles forment des recettes appelées algorithmes.

  • L'ordinateur ne connaît rien du contexte, ni de l'intention réelle de l'utilisateur, mais suit des instructions complètes et précises.

Le numérique permet de rendre les contenus manipulables[1] en les coupant de leur signification. En les transformant en ressources binaires on libère leur potentiel calculatoire au prix d'une coupure radicale avec le sens.

DéfinitionLes 3 niveaux (projet PRECIP).

Les 3 niveaux du numérique

Le livre a une réalité physique ou matérielle (le papier, l'encre) et une réalité symbolique ou culturelle (la langue, les signes à interpréter).

Mais pour comprendre le fonctionnement du numérique il faut comprendre l'articulation, non pas de deux, mais de trois niveaux. Les technologies du numériques ne sont dans aucun de ces trois niveaux, mais dans les trois à la fois. En effet, toute activité d'écriture numérique peut être décrite selon trois niveaux allant du plus abstrait, sa forme binaire en machine, au plus concret, sa forme sémiotique interprétable par un humain.

Ces trois niveaux du numérique peuvent être formulés ainsi :

  1. le possible théorique ouvert par le numérique. C'est le niveau de la machine.

  2. le potentiel fonctionnel proposé par les applications. C'est le niveau du logiciel.

  3. la pratique interprétative des formes sémiotiques. C'est (actuellement) le niveau de l'écran.

FondamentalLa coupure du numérique.

Double coupure du numérique (Bruno Bachimont)

Le numérique comme tel, objet idéal (calculabilité et combinatoire), prend une existence matérielle via l'implémentation et une consistance pratique via la manifestation d'un contenu sous une forme sémiotique perceptible et via l'interaction qu'il permet.

Le numérique se caractérise par une double coupure, un double isolement :

  • le numérique est coupé de l'interprétation d'une part. Une ressource numérique ne dit pas par elle-même comment il faut la lire et l'interpréter.

    Ex. Quand on considère une séquence binaire, on peut la lire comme une image via un décodeur adéquat, ou comme un son, ou encore comme une vidéo.

  • le numérique est coupé de sa matérialisation d'autre part. Le numérique est un code dont la structure et les règles ne dépendent pas de la manière dont il est matériellement réalisé.

    Ex. C'est ainsi qu'on peut avoir la même ressource binaire sur un support optique ou magnétique : la matérialité n'influence pas le codage.

Mais cette double coupure reste néanmoins idéale. Car en pratique, il faudra bien manipuler le numérique (via des formats et des outils qui le sortiront de son isolement sémantique pour lui conférer des propriétés à partir desquelles on l'utilisera).

RemarqueLes tensions entre les 3 niveaux.

La théorie des trois niveaux[2] peut être reformulée ainsi :

  1. Le niveau théorético-idéal est le numérique comme principe calculatoire qui réduit les contenus à une combinatoire aveugle de signes privés de sens (ex. les 0 ou les 1, ou n'importe quelles autres unités logiques formelles constituant un alphabet de manipulation).

  2. Le niveau techno-applicatif est un formatage technique du premier niveau, c'est le niveau de l'informaticien ou de la manifestation.

    Les formats sont exploités pour la programmation de fonctions d'écriture. Cela se concrétise en propriétés techniques (manipulabilité, abstraction, adressabilité, universalité, clonabilité) déclinées en fonctions. Une carte heuristique[3] du niveau techno-applicatif est disponible ici.

  3. Le niveau sémio-rhétorique est le niveau où le contenu numérique, traduit dans des formats de codage, se manifeste à travers des interfaces pour permettre l'interaction avec un utilisateur.

Il est important de comprendre les tensions entre les niveaux :

  • Entre les niveaux 1 et 2 : ce qui n'est pas prévu est impossible.

    Ex. le caractère alphabétique pour Unicode ou ASCII ; le pixel en format TIFF ; le GOP (Group of Picture) en MPEG, etc. Ces unités sont déterminées a priori et le format définit ce qu'il est possible de faire avec elles.

  • Entre les niveaux 2 et 3 : tout ce qui est faisable n'est pas sensé.

    Ex. Il est techniquement possible de segmenter une lettre, à n'importe quel endroit, mais une telle segmentation peut n'avoir aucun sens, elle dépend pour le moins du "contexte" de production et de réception (ce pourquoi on trouvera cette fonction dans les logiciels dits de graphisme plutôt que dans les logiciels dits d'écriture ou d'édition).

  1. Manipulabilité.

    Le numérique a automatisé et formalisé la manipulation. Les pièces du Lego sont devenus des blocs d'information.

    La manipulabilité est une propriété fondamentale des technologies numériques, elle nomme le calcul opéré sur des unités discrètes (la manipulation suppose la discrétisation). L'essence du numérique est celui de tout calcul : ne consister qu'en une pure manipulation de symboles. Entre le monde dit réel et le monde dit virtuel (ce que vous voyez sur votre écran), il y a toujours l'intermédiaire d'un codage arbitraire et d'un calcul qui ne veut rien dire. Cette médiation est une autre manière de dire, à la manière de Bruno Bachimont, que le numérique « ça a été manipulé ».

    La manipulabité théorique du numérique se retrouve au niveau 2 (le programme ou le logiciel d'écriture et de lecture) et 3 (le document lu) sous la forme de manipulation effective.

  2. Trois niveaux du numérique (modèle des)

    Le numérique comme tel (calculabilité et combinatoire) prend une existence matérielle via l'implémentation et une consistance pratique via la manifestation d'un contenu sous une forme sémiotique perceptible et via l'interaction qu'il permet (Bachimont).

    1. Le niveau théorético-idéal se caractérise par deux principes : discrétisation et manipulation. Ce niveau est celui des machines logiques ou abstraites (machine de Turing). On libère le potentiel calculatoire d'un contenu symbolique au prix d'une coupure radicale avec le sens.

    2. Le niveau techno-applicatif mobilise le codage numérique sur des contenus via des formats et les fonctions qui leurs sont associées.

      Les formats sont des restrictions apportées à l'universalité du numérique pour proposer des fonctionnalités : ouvrir certains possibles tout en en fermant d'autres. Le format correspond à la structuration d'un contenu sous forme calculable ou manipulable, il spécialise et concrétise l'idéalité du numérique en un espace de manipulation possible défini sur des unités élémentaires fixées par lui.

      Ce niveau introduit une sémantique au sens où les applications logicielles offrent des fonctionnalités qui, d'emblée, proposent ou imposent des choix quant à la manière de manipuler le matériau numérique (contenus) et d'interagir avec lui. Cependant, nous ne sommes pas au niveau interprétatif définissant a posteriori les signes et leur sens, mais à un formatage a priori qui prescrit des unités et leur manipulation formelle.

    3. Le niveau sémio-rhétorique est celui où le contenu numérique fait sens pour un utilisateur : les manipulations rendues possibles, les parcours interprétatifs induits, etc.

    Chaque niveau a sa tension propre :

    • Le niveau 1 connaît la tension entre le format formel idéal et le substrat physique sous-jacent, c'est la tension de l'implémentation.

    • Le niveau 2 connaît la tension entre le format de codage et la forme d'interprétation, c'est la tension de la manifestation.

    • Le niveau 3 connaît la tension entre les fonctions du système et la pratique d'usage, c'est la tension de l'interaction.

  3. Carte heuristique du numérique

    L'étude des fonctions d'écriture à partir des propriétés du numérique est une des voies que nous explorons pour anticiper et éclairer l'usage et la conception des applications informatiques. Pour cela nous avons produit une carte à trois niveaux (http://precip.fr/map, Stéphane Crozat ; cette carte correspond au niveau 2 de notre modèle dit des 3 niveaux).

    • le niveau 2.1 présente des tropismes, des tendances inhérentes aux propriétés fondamentales du numérique. Ces propriétés ont un caractère tropistique au sens où l'écriture numérique tend vers elles. Si elle ne sont pas nécessairement l'apanage exclusif de l'écriture numérique, si elles existaient sous des formes primitives dans l'écriture non numérique, elles sont considérablement amplifiées et modifiées par celle-ci, comme l'oralité l'a été par l'écriture. Il y a 5 tropismes : Manipulabilité, Abstraction, Adressabilité, Universalité, Clonabilité.

    • le niveau 2.2 instancie ces tropismes en principes, c'est-à-dire en potentiels techniques ouverts pour les applications d'écriture (le champ du possible).

    • le niveau 2.3 décline les principes en fonctions, c'est à dire en modalités effectives d'écriture rendues disponibles par les applications (le champ de l'utile, avéré ou supposé).

    Notre méthode est de travailler et de faire travailler les trois niveaux de la carte pour prendre conscience des tropismes de l'écriture et ainsi développer des connaissances méta-scripturales spécifiques au numérique. Cette carte heuristique est indissolublement pratique et théorique, elle nous permet non seulement d'analyser les pratiques d'écriture numérique mais aussi de les apprendre ou de les inventer.

    • Ex. Dans nos modules, il s'agit de faire travailler les apprenants aux trois niveaux de la carte selon le déroulement suivant : l'exposition d'un principe au niveau 2.2 (par exemple le multimédia) ; un travail pratique de manipulation d'une fonction aux niveaux 2.3 et 3 (par exemple l'intersémiotisation travaillé avec le dispositif Webradio) ; la critique de ce travail et la prise de recul aux niveaux 2.1 et 1 (l'universalité propre au numérique reposant sur le principe du codage binaire de toute forme sémiotique). La seconde séquence consiste en un retour au travail pratique pour évaluer et renforcer la réflexivité qu'a dû développer la première séquence.

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